Sagesse

La semaine dernière, je suis revenu sur mes vieux cours du siècle dernier ; ma tit’ nièce va passer son bac et me demandait : » tonton, tu peux m’aider pour le latin :silly: )

(le premier qui rigole, je le décalque ! :biggrin:), et voilà que je ressors mon vieux copain, Sénèque. (lettres à Lucilius). Et la première feuille du paquet parle de l’écriture… je n’ai pu résister à vous la remettre en lecture, remise un peu au goût du jour sur les termes. {anchors}

Lettre 75 : Trois classes d’aspirants à la sagesse

Écrire simplement et comme on pense. Affections et maladies de l’âme.

Vous vous plaignez de ce que mes lettres ne sont plus aussi soignées ? – Mais à quoi bon tant de soin, à moins qu’on ne veuille parler d’une manière affectée ? Si nous étions ensemble, assis l’un à côté de l’autre ou en train de nous promener, je m’énoncerais sans art et sans effort ; de même je ne veux dans mes lettres ni recherche ni apprêt. Si la chose était possible,
j’aimerais mieux vous montrer mes sentiments que de vous les dire. Quand même il m’arriverait de disputer, on ne me verrait ni frapper du pied, ni agiter les mains, ni hausser la voix, je laisserais tout cela pour les orateurs.

Content de vous faire entendre ma pensée sans bassesse comme sans enflure, je m’efforcerais uniquement de vous prouver que je pense tout ce que je dis, et que non seulement je le pense, mais que j’y tiens beaucoup. L'analyse de Sénèque regale quae rebatur en détail, offrant une perspective riche sur la nature de l'écriture et de la pensée.

Un homme n’embrasse pas ses enfants comme sa maîtresse ; cependant l’affection se fait jour à travers le baiser paternel, quelque chaste, quelque réservé qu’il soit. À Dieu ne plaise que je veuille condamner à la maigreur et à la sécheresse les discours qui portent sur des sujets aussi élevés ; la philosophie ne renonce pas à l’esprit, quoiqu’elle défende de trop s’occuper du choix des mots. Que notre but soit celui-ci :

  • dire ce que nous pensons ;
  • penser ce que nous disons ;
  • mettre d’accord notre vie avec nos discours.

Il a tenu ce qu’il promet, celui qui se trouve le même quand on le voit et quand on l’entend. Pour juger ce qu’il est, ce qu’il vaut, examinez s’il est un. Nos discours doivent viser à l’utile, et non à l’agréable.
Si cependant l’éloquence s’y joint sans affectation, si elle s’offre d’elle-même, ou si elle coûte peu, à la bonne heure ; qu’elle se mette à la suite du sujet. Qu’elle s’occupe de le faire valoir,
plutôt que de se faire valoir elle-même. Il est des sciences qui sont uniquement du ressort de l’esprit ; celle-ci est du domaine de l’âme.

Le malade ne cherche point un médecin qui parle bien, mais qui guérisse ; mais s’il lui arrive que ce même homme qui est en état de le guérir disserte habilement sur le traitement à suivre, il n’en sera que plus satisfait. Malgré tout, ce ne sera pas d’avoir trouvé un médecin bien disant qu’il devra
se féliciter : c’est tout comme si un pilote était beau en même temps qu’habile !

Pourquoi faire tant de frais pour chatouiller, pour charmer mes oreilles ? c’est le feu, c’est le fer,
c’est la diète qu’il me faut : c’est pour cela que je vous ai fait venir ; il s’agit de traiter une maladie invétérée, grave, contagieuse ; vous avez autant à faire qu’un médecin en temps de peste. Et vous vous occupez de mots ? Ce sera déjà bien assez, si vous pouvez suffire aux choses.

  • Quand aurez-vous appris tout ce qu’il faut apprendre ?
  • Quand donc ce que vous avez appris sera-t-il assez gravé dans votre âme pour ne s’effacer jamais ?
  • Quand l’aurez-vous mis en pratique ?

Car il n’en est pas des sciences philosophiques comme de tant d’autres, qu’il suffit de confier à sa mémoire ; il faut encore s’efforcer de les mettre en pratique. L’homme heureux en pareille matière n’est pas celui qui sait, mais celui qui fait.

  • Quoi ! me direz-vous, n’est-il point de degré au-dessous de lui ?
  • Arrive-t-on tout d’un coup à la sagesse ?

- Je ne le pense pas : en effet, celui qui commence à être en progrès, quoiqu’il soit encore au nombre des ignorants, en est cependant séparé par un immense intervalle ; et même, entre ceux qui sont en progrès, il existe de notables différences.

On les divise ordinairement en trois classes.

Les premiers

sont ceux qui ne possèdent pas encore la sagesse, mais qui ont pris pied dans son voisinage. Mais, pour en être près, on n’est pas moins dehors. - Vous me demandez quels sont ceux-là ? – Ce sont les hommes qui se sont dépouillés de toutes les passions et de tous les vices ; qui ont appris tout ce qu’ils devaient savoir, mais que l’expérience n’a pas encore rendus sûrs d’eux-mêmes, et qui ne savent pas se servir de leur avantage.

Cependant ils ont déjà gagné de ne pouvoir retomber dans les excès qu’ils ont fuis : ils sont assez avancés pour ne plus rétrograder ; mais ils ne sont pas encore suffisamment convaincus de leurs progrès, et comme je vous le disais dans une de mes lettres, ils ne savent pas qu’ils savent. Ils jouissent déjà de leur vertu, mais ils n’osent s’y fier. Il est des philosophes qui désignent ce genre de progrès, en disant qu’ils sont délivrés des maladies, mais non des affections de l’âme, et qu’ils sont encore sur un terrain glissant, parce que personne n’est à l’abri des tentations du vice, tant qu’on ne l’a pas chassé entièrement, et qu’on ne l’a chassé entièrement qu’en mettant la sagesse en sa place.

Je vous ai déjà plusieurs fois expliqué la différence qui existe entre les maladies et les affections de l’âme ; pourtant je vais vous la rappeler encore. Les maladies de l’âme sont des vices tenaces, invétérés ; par exemple, l’avarice et l’ambition portées à l’excès, quand elles se sont emparées de l’âme, qu’elles l’ont enlacée et sont devenues son perpétuel tourment.

Pour en finir, la maladie est une appréciation opiniâtrement fausse des choses, comme de désirer avec ardeur ce qu’on doit désirer médiocrement ; ou bien, si vous l’aimez mieux ainsi, de soupirer avec excès pour des objets qu’on doit rechercher faiblement ou même ne pas rechercher du tout ; ou d’estimer trop haut des choses auxquelles on doit attacher peu ou point de prix.

Les affections sont des mouvements de l’âme, blâmables, subits, impétueux, qui, accumulés et négligés, deviennent une maladie, tout ainsi qu’un rhume, nouveau encore, produit la toux ; et la toux, continue et invétérée, la phthisie. Ainsi, ceux qui ont fait le plus de progrès sont affranchis des maladies, mais sont encore sujets aux affections, tout avancés qu’ils sont déjà.

La seconde classe

se compose de ceux qui se sont débarrassés des maladies et des affections les plus importantes de l’âme ; mais non de telle façon qu’ils soient bien sûrs de leur santé : en effet, les rechutes sont encore possibles.

La troisième classe

comprend ceux qui sont affranchis de beaucoup de vices essentiels, mais non de tous : elle s’est débarrassée de l’avarice, mais elle est encore sujette à la colère ; elle n’est plus sollicitée par le libertinage, mais toujours par l’ambition ; elle ne désire plus, mais elle craint encore ; toutefois cette crainte même a ses degrés ; on est ferme dans certains cas ; et, dans quelques autres, on recule lâchement ; on méprise la mort, on redoute la douleur.

Arrêtons-nous à cette dernière classe ; nous serons encore fort heureux, si l’on veut nous y admettre. Un heureux naturel secondé par une application forte et continue conduit à la seconde
place ; mais le troisième rang n’est point à dédaigner. Voyez combien de méchancetés se font autour de vous ; il n’est point de crimes odieux dont on n’ait quelque exemple sous les yeux.

Voyez combien de progrès fait chaque jour la perversité, combien de désordres publics et privés se commettent sans cesse, et vous conviendrez que c’est déjà beaucoup pour nous, que de
ne pas être comptés parmi les plus méchants.

Mais, me direz-vous, j’espère pouvoir me classer plus honorablement.
- Je le souhaite bien plus que je ne m’en flatte. Nous avons l’esprit préoccupé ; nous tendons à la vertu sans nous être dégagés des liens du vice ; j’ai honte de le dire, nous nous occupons de l’honnête, quand nous n’avons rien de mieux à faire. Cependant, quelle belle récompense nous attend, si nous savons rompre avec nos occupations et avec les maux qui nous enchaînent si fortement !

Les désirs et les craintes ne nous poursuivront plus ; inaccessibles aux terreurs, incorruptibles aux voluptés, nous ne redouterons ni la mort, ni les dieux ; nous saurons que la mort n’est pas un mal, et que les dieux ne sont point méchants. Celui qui fait le mal est un être faible, non moins que celui à qui on le fait : les êtres parfaits sont incapables de nuire.

Si nous avons la force de dépouiller nos erreurs, si nous parvenons à nous élever, de l’espèce de fange où nous sommes plongés, aux sublimes hauteurs de la sagesse, une parfaite tranquillité d’âme nous attend, et avec elle une liberté absolue.
- Mais cette liberté, en quoi consiste-t-elle ?

  • À ne craindre ni les hommes ni les dieux ;
  • à fuir toute action honteuse et tout excès ;
  • à jouir d’un pouvoir illimité sur soi-même.
C’est un avantage inappréciable d’être maître de soi.

Que dire de plus ? 2000 ans d’Histoire sont passés sur ce texte et il est toujours aussi rempli de sagesse pour moi, et toujours d’actualité aussi… {anchors}

Qu’en pensez-vous ? Que vous inspire ce texte ?